Faire la différence entre la langue qui représente le corps, ce qui est atteignable, matériel, palpable (ou audible) et le sens qui représente la pensée intouchable, ancrée, indifférente.

Ce que Larry Tremblay a à dire est invariable et il prend soin de ne pas laisser un convoyeur international du langage déplacer ses propos. Si un traducteur s’avisait de faire quoi que ce soit, il perdrait toute l’essence du texte et sa traduction ne serait qu’un ramassis de mots. Le sens est là, immuable, il est destiné aux francophones et anglophones exclusivement.

Ecrit en 1995, année du referendum sur l’indépendance de la province de Québec, ce texte est éminemment politique, il est un outil de résistance contre l’acculturation. 

En choisissant de rester dans l'entre deux, The dragonfly of Chicoutimi refuse la défiguration de l’intertexte.

En utilisant la langue de « l’ennemi » Tremblay sous-entend que les clefs de la traduction appartiennent aux puissants. S’il n’y a pas de langue mondiale, il y a des langues colonisatrices. 

Comment s’exprimer librement dans un cadre officiel ?

Plutôt que de voir la traduction comme un facteur de dégradation linguistique et d’aliénation identitaire, il fait le choix de la comprendre comme une médiation, comme « un lien qui unit et qui sépare en même temps, rapprochant deux langues et deux voix poétiques tout en rappelant les distances du départ ».

Au-delà de la question identitaire, ce texte est une expression de la conscience, un territoire d’entre deux géographique et mental à la fois. Le corps comme terrain du rêve. Une région d’intersection. Une enclave. L’oubli est-ce un territoire, une force, ou une opération ?

J’ai décidé de dévoiler le repère de la « reine Sprache » dont parlait Walter Benjamin (1972), ce troisième espace ou « “lieu” entre deux langues » de nature « éphémère, fortuit, infini, mouvant, contradictoire et chaotique ».

 

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Dossier artistique The Dragonfly of Chicoutimi
Résumé et intentions
dossier artistique dragonfly juin 2013.p
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J’ai choisi de mettre en scène The dragonfly of Chicoutimi car ce texte parle d’un tracas contemporain omniprésent: 

Quelle image souhaite-t-on donner de soi ?

Avec la montée des utilisateurs de Facebook, et du lifelogging, la multiplication des storrytellings et le désir de réussite personnelle, les individus sont poussés à choisir et assumer un cadrage de leur personne.

Cette démarche bien qu’évolutive, puisqu’elle lutte contre la biopolitique, se révèle certaines fois destructrice pour certains quand l’image renvoyée passe au premier plan, laissant derrière elle l’existence réelle, la vie.

Mettre en scène un individu qui se noie dans ses rêves: Gaston Talbot. Constamment en recherche d’un passé idéal, il n’hésite pas à arranger les histoires à sa manière et à duper ses auditeurs en cherchant à les faire adhérer à ses versions. Rongé par la culpabilité, ces mensonges ne peuvent exister très longtemps et vont transparaître uns à uns. 

Dans un même temps, à travers ce texte qui relate un traumatisme mal digéré, se pose la question de l’identité géographique et culturelle. Comment concilier deux identités ? La peur du débordement de l’une sur l’autre est latent. 

En mettant en scène le personnage de Gaston Talbot, je lui donne vie, je l’inscrit dans une réalité brute qui rendent la supercherie d’autant plus grotesque.

The dragonfly of Chicoutimi est une triangulation.

Triangulation d'images, des lieux, de spectateurs.

Que montre-t-on au grand public ? Qu’essaye t-on de cacher maladroitement ? 

L’espace de Gaston est un laboratoire de fabrication d’images dont certains ne connaîtront jamais les ficelles…

On remonte le processus et à travers le passage du montage fini au montage en cours, on aperçoit l’entre deux, le moment du collage, l’opération ratée des éléments condamnés à rester hétérogènes. L’impossible mélange. La tentative d’homogénéité qui se solde par une nouveauté hybride.

La question posée par cette pièce est à t-on conscience du réel ? Peut-on dealer avec lui ?

 

Photos: Adrien Maufay et Marielle Agboton

Jeu: Pierre Charpilloz, Iris Yolal, Mathilde Melero, André Baglione, Juliette Steiner, Anna Lejemmetel, Pierre Faedi, Djo Bolokanko.


Facebook de Gaston

ou la tentative d'entrer dans la vie "réelle"...

Cette année Gaston a investit mon appartement, me forçant a opéré un repli géographique majeur.

Gaston a désormais envie d'investir d'autres espaces tels que les bureaux d'un théâtre, les vitrines en jachère d'une ville ou encore d'autres appartements. Gaston prend l'espace tel quel et vient s'implanter dedans, il opère comme un collage vivant.

Dessins d'inspiration